
Conférence du 2 octobre 2025
"Du berceau au bastion : la Provence des oratoriens (XVIIe-XVIIIe siècles)"
Avant-propos:
Les Oratoriens (membres de la Congrégation de l’Oratoire de Jésus), fondés par Pierre de Bérulle en 1611, étaient organisés en provinces (ou "départements") pour structurer leur action en France. Ces provinces correspondaient à des zones géographiques et pastorales, chacune avec ses spécificités.
Les provinces oratoriennes en France
Au XVIIe et XVIIIe siècles, les Oratoriens sont divisés en trois grands départements (provinces) :
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Premier département : Paris et le Nord (centre politique et intellectuel).
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Deuxième département : L’Ouest (Bretagne, Poitou, Aquitaine).
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Troisième département : Le Midi (Provence, Languedoc, Lyonnais, Dauphiné)
Les réseaux provençaux des Oratoriens au XVIIe et XVIIIe siècles sont un aspect fascinant de leur histoire, marqué par des liens intellectuels, spirituels et politiques avec les élites locales. François-Xavier Carlotti met en lumière comment les Oratoriens ont tissé des alliances et construit des influences dans cette région.
Les Oratoriens en Provence : Un réseau congréganiste
1. Une implantation stratégique
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Fondation des maisons oratoriennes : Les Oratoriens s’installent en Provence dès le début du XVIIe siècle, avec des maisons à :
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Aix-en-Provence (centre intellectuel et juridique).
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Arles (ville épiscopale majeure).
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Marseille (port et carrefour commercial).
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Avignon
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Montpellier
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Toulouse
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Hyères
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Joyeuse (petite maison, mais symbole de leur ancrage rural).
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Pourquoi la Provence ?
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Proximité avec Rome (via Marseille) et influence des évêques (ex. : l’archevêque d’Arles).
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Résistance au protestantisme : Les Oratoriens sont des acteurs de la Contre-Réforme dans une région marquée par les guerres de Religion.
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Réseaux urbains : Les villes provençales sont des pôles culturels (universités, académies), idéaux pour diffuser leurs idées.
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2. Fonctionnement provincial
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Les Oratoriens du Midi se réunissent une fois par an pour discuter des affaires communes (finances, discipline, projets).
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Lieu : Souvent à Aix ou Avignon, centres intellectuels.
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Supérieur provincial :
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Élu pour 3 ans, il a pour rôle de :
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Coordonner les maisons.
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Représenter la province auprès du supérieur général à Paris.
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Gérer les conflits (ex. : avec les évêques ou les Jansénistes).
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3. Finances :
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Chaque maison est autonome financièrement, mais contribue à un fonds commun provincial pour les projets collectifs (ex. : aide aux maisons en difficulté).
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Sources de revenus :
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Dons des fidèles (notamment des élites urbaines).
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Legs (ex. : testaments de bourgeois ou nobles).
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Revenus des collèges (frais de scolarité)
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4. Les réseaux intellectuels et spirituels
Liens avec les élites locales
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Noblesse et bourgeoisie : Les Oratoriens bénéficient du soutien de familles nobles (ex. : les Vintimille, les Forbin) et de bourgeois éclairés (magistrats, marchands).
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Exemple : À Aix, ils sont protégés par les parlementaires, qui voient en eux des alliés contre les Jésuites ou les Jansénistes.
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Évêques et clergé :
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Collaboration avec les diocèses : Les Oratoriens forment les prêtres et animent les séminaires (ex. : séminaire d’Aix).
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Conflits avec les Jésuites : En Provence, les deux congrégations rivalisent pour l’influence sur l’éducation et la spiritualité.
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Réseaux éducatifs
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Collèges et séminaires : Les Oratoriens gèrent des collèges réputés (ex. : collège d’Aix), où ils forment l’élite provençale.
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Pédagogie innovante : Ils prônent une éducation moins dogmatique que les Jésuites, avec un accent sur la rhétorique et les sciences.
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Réseau d’anciens élèves : Leurs élèves deviennent des magistrats, évêques ou écrivains, renforçant leur influence.
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Bibliothèques et savoir :
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Les maisons oratoriennes possèdent des bibliothèques riches (ex. : livres de théologie, sciences, littérature).
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Exemple : La bibliothèque de l’Oratoire d’Aix est un lieu de rencontre pour les érudits locaux.
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5. Les réseaux politiques et religieux
Alliances et rivalités
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Avec les Jansénistes :
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Les Oratoriens sont divisés sur le jansénisme. Certains les soutiennent (ex. : l’Oratoire de Paris), d’autres les combattent (ex. : en Provence, où les évêques sont souvent anti - jansénistes).
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François-Xavier Carlotti montre que les Oratoriens provençaux adoptent une position pragmatique, évitant les conflits ouverts pour préserver leurs réseaux.
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Avec les Parlements :
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À Aix, le Parlement de Provence (cour souveraine) est un allié clé. Les Oratoriens y comptent des protecteurs parmi les magistrats.
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Exemple : Ils interviennent dans les débats sur la grâce ou les libertés gallicanes, en lien avec les parlementaires.
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Avec Monseigneur de Belzunce, évêque de Marseille qui avait une définition différente de la Réforme catholique:
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Collaboration : Belzunce s’appuie sur les Oratoriens pour former les prêtres dans son diocèse, les utilise comme auxiliaires pour convertir les protestants ou renforcer la foi catholique. Les Oratoriens animent des confréries et des œuvres de charité (ex. : secours aux pauvres, éducation des enfants), Belzunce, soucieux de l’assistance sociale, les encourage dans ces missions.
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Problème janséniste: Les Oratoriens, bien que non jansénistes dans leur majorité, sont suspects de sympathies pour certaines idées de Port-Royal (ex. : rigueur morale, critique des abus cléricaux). En 1720, Belzunce interdit la diffusion d’ouvrages oratoriens jugés trop proches du jansénisme (ex. : écrits du Père Quesnel, condamné par la bulle Unigenitus).
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Conflit sur l'autorité épiscopale : Les Oratoriens, en tant que congrégation séculière, revendiquent une certaine indépendance vis-à-vis des évêques. Belzunce, soucieux de son autorité, tente de limiter leur autonomie (ex. : en contrôlant leurs prédications ou leurs publications). Exemple : En 1730, il interdit aux Oratoriens de prêcher sans son autorisation, une mesure qui vise aussi les Jésuites et les Capucins.
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Oratoire de Marseille : En 1730, Belzunce menace de fermer la maison oratorienne de Marseille, accusée d’héberger des prêtres jansénisants. En 1735, Belzunce oblige les Oratoriens à quitter leur maison du centre-ville pour s’installer en périphérie, sous prétexte de réorganiser les paroisses, ce qui a entrainé une diminution de leur influence.
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Réseaux économiques
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Mécénat et dons : Les Oratoriens reçoivent des legs et dons de familles aisées (ex. : pour financer leurs collèges ou leurs missions).
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Exemple : À Arles, des marchands financent la décoration de leur chapelle.
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Gestion des biens :
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Ils possèdent des terres et revenus (fermes, rentes), gérés en réseau entre les maisons provençales.
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François-Xavier Carlotti souligne leur autonomie financière, qui leur permet de résister aux pressions extérieures.
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6. Les réseaux spirituels et culturels
Une spiritualité adaptée au Midi
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Influence de Philippe Néri : Les Oratoriens suivent la spiritualité oratorienne (fondée par Philippe Néri à Rome), axée sur la prière, la musique et la prédication.
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En Provence, ils adaptent cette spiritualité aux coutumes locales (ex. : processions, dévotions mariales).
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Liens avec les confréries :
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Ils animent des confréries (ex. : Confrérie de Saint-Joseph à Aix), qui regroupent des laïcs autour de pratiques religieuses et caritatives.
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Exemple : À Arles, ils collaborent avec les pénitents (confréries de flagellants).
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Réseaux artistiques et musicaux
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Musique sacrée : Les Oratoriens sont réputés pour leur maîtrise musicale (chorales, orgues). En Provence, ils développent des liens avec les compositeurs locaux.
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Exemple : À Marseille, ils organisent des concerts spirituels dans leur église.
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Art et architecture :
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Ils commandent des retables, peintures et sculptures pour leurs chapelles, en collaboration avec des artistes provençaux.
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Exemple : L’église de l’Oratoire à Aix en Provence abrite des œuvres baroques financées par des mécènes locaux.
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7. Les défis et déclin des réseaux oratoriens en Provence
Crises internes
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Divisions théologiques :
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Certains Oratoriens provençaux sont accusés de jansénisme, ce qui crée des tensions avec Rome et les évêques.
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François-Xavier Carlotti montre que ces divisions affaiblissent leur réseau dans les années 1720-1750.
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Problèmes financiers :
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La gestion des biens devient difficile au XVIIIe siècle, en raison de la baisse des dons et de la concurrence des autres congrégations.
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Pressions extérieures
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Montée des Lumières :
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Les idées des Lumières remettent en cause le rôle des congrégations religieuses. Les Oratoriens sont critiqués pour leur influence politique.
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Suppression de l’Oratoire (1792) :
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La Révolution française met fin à leur existence, et leurs biens sont nationalisés.
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François-Xavier Carlotti explique que leur déclin en Provence est aussi lié à leur incapacité à s’adapter aux changements politiques et sociaux.
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8. L’héritage des réseaux oratoriens en Provence
L’héritage des réseaux oratoriens en Provence est à la fois matériel, intellectuel et social, bien que souvent méconnu face à l’influence des Jésuites ou des Jansénistes.
Influence durable
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Éducation : Leurs collèges ont formé des générations de Provençaux, dont certains sont devenus des figures locales (ex. : magistrats, écrivains). Exemple du collège d'Aix en Provence (fondé en 1620) devenu le lycée Mignet. Les Oratoriens ont introduit en Provence une pédagogie innovante, moins rigide que celle des Jésuites, qui a influencé l’enseignement laïc post - révolutionnaire.
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Patrimoine culturel :
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Leurs bibliothèques et archives ont enrichi les fonds documentaires provençaux (ex. : archives départementales des Bouches-du-Rhône).
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Leurs églises (ex. : Oratoire d’Aix) restent des lieux de mémoire.
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Redécouverte historique
François-Xavier Carlotti met en lumière l’importance des Oratoriens dans les réseaux intellectuels et politiques provençaux, souvent éclipsés par les Jésuites ou les Jansénistes.
François-Xavier Carlotti résume leur destin ainsi : "Les Oratoriens ont été les artisans d’une Contre-Réforme à visage humain, mêlant rigueur et adaptabilité. Leur suppression en 1792 a privé la France d’un modèle original de vie religieuse, entre liberté et engagement."

"Les Oratoriens du Midi français"
Présentation de l’ouvrage
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Titre complet : "Les Oratoriens du Midi français. La liberté pour seule règle, la charité pour seules chaînes (XVIIe-XVIIIe siècles)".
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Éditeur : Éditions Grégoriennes (2024).
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Thème central : François-Xavier Carlotti y explore l’histoire du "troisième département" de l’Oratoire de France, une branche méridionale de cette congrégation fondée par Pierre de Bérulle en 1611.
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Originalité : L’Oratoire de France était un institut séculier (sans vœux religieux), ce qui le distinguait des ordres monastiques traditionnels.
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Focus géographique : Le Midi français (Provence, Languedoc, etc.), où l’Oratoire a joué un rôle clé dans l’éducation, la réforme catholique et les débats théologiques.
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Son livre :
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"Les Oratoriens du Midi français" (Éditions Grégoriennes, 2024) est disponible :
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En librairie (ex. : Mollat, Decitre).
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En ligne : Site des Éditions Grégoriennes, Amazon, FNAC
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Qui est François-Xavier Carlotti ?
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Docteur en histoire : François-Xavier Carlotti a soutenu une thèse sur "Le troisième département de l’Oratoire de Jésus (XVIIe-XVIIIe siècle), un réseau congréganiste dans la France du Midi" (Université Lyon 3, 2013).
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Spécialité : Histoire religieuse, politique et culturelle de l’Ancien Régime.
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Thèmes de recherche : Les congrégations religieuses, l’éducation, les réseaux spirituels et intellectuels dans le Midi français.
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Parcours académique :
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Chercheur associé au Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes (LARHRA, UMR 5190).
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Chargé de cours à l’Université d’Avignon et intervenant dans des colloques sur l’histoire des religions.
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